- AGROBIOLOGIE - La lutte biologique
- AGROBIOLOGIE - La lutte biologiqueAgrobiologie: la lutte biologiquePour assurer sa nourriture ou protéger sa santé, l’homme, comme tout être vivant, doit lutter contre d’autres espèces – agents pathogènes, parasites ou ennemis de ses cultures. Dès l’apparition de l’agriculture, il lui a fallu apprendre à protéger les champs, les récoltes et les animaux domestiques d’autres espèces, dénommées “ravageurs”.Au cours des siècles, les cultivateurs ont développé diverses pratiques pour limiter l’expansion et les dégâts des ravageurs: la rotation des cultures, dans laquelle l’alternance des plantes cultivées empêche des ravageurs spécialisés d’atteindre des effectifs incontrôlables; la plantation d’arbres ou de haies autour des champs, voire dans les champs, pour faire barrière à l’invasion de certains insectes et/ou fournir des refuges à leurs ennemis naturels (sans parler de la protection contre le vent et l’érosion des sols); la pratique de polycultures, qui met à profit la diversité végétale comme stratégie de contrôle des ravageurs potentiels; l’élimination des plantes malades ou infectées.La lutte biologique directe, qui consiste à utiliser d’autres espèces pour freiner la croissance de ravageurs, voire les éliminer, ne s’est réellement développée qu’à partir de la seconde moitié du XIXe siècle avec les premiers envois intercontinentaux. En 1873, Jules Planchon reçoit d’Amérique du Nord un échantillon d’acariens Rhizoglyphus phylloxerae pour lutter contre le phylloxéra de la vigne; mais l’exemple le plus célèbre, du fait de son succès remarquable à travers le monde, est celui de la coccinelle d’Australie, Rodolia cardinalis , prédatrice efficace de la cochenille des agrumes Icerya purchasi ; R. cardinalis fut introduite pour la première fois en 1888 dans les vergers de Californie. Le “contrôle biologique” était né.Depuis lors, avec le développement de la biologie moderne, la lutte biologique a pris des formes variées: du contrôle biologique direct – par l’introduction de prédateurs, de parasites ou d’agents pathogènes introduits – à la lutte intégrée.Le problèmeChamps et plantations constituent, pour de nombreuses espèces phytophages – champignons, acariens, nématodes, insectes, oiseaux, mammifères – des ressources alimentaires d’accès facile et offertes en surabondance. Là réside la source majeure de leur prolifération, la cause même de leur statut de ravageurs.On sait en effet que, dans les conditions naturelles, la croissance des populations animales et végétales est régulée soit par la pénurie en ressources alimentaires, soit par l’action d’autres espèces, compétiteurs, parasites ou prédateurs. Le développement des monocultures, parfois réduites à des variétés génétiquement très homogènes, favorise la multiplication effrénée d’un petit nombre d’espèces, justement qualifiées alors de ravageurs, ou de mauvaises herbes quand il s’agit de plantes.Il faut mentionner une autre composante du problème, à l’origine de beaucoup de catastrophes agricoles ou forestières: l’introduction par l’homme, accidentelle ou volontaire, d’espèces exotiques – plantes, insectes ou agents pathogènes. Quand elles réussissent à s’implanter grâce à des conditions climatiques favorables, ces espèces, privées de leurs ennemis habituels, peuvent devenir de dangereux ravageurs.Si l’enjeu est considérable du seul point de vue économique (les pertes alimentaires imputées aux ravageurs dépassent 40 p. 100), la réponse au problème est du domaine de l’écologie. Il est logique en effet de rechercher dans cette discipline, dans ses principes mêmes, les fondements des solutions à mettre en œuvre: la lutte biologique aurait pu s’appeler aussi bien lutte écologique. Cela a été quelque peu perdu de vue avec l’essor de l’agriculture moderne et l’avènement de l’ère industrielle, quand la lutte contre les ravageurs a très vite pris la forme de la lutte chimique: insecticides, fongicides, herbicides sont produits en quantité et mis en œuvre pour “nettoyer” champs et plantations. Mais ces molécules chimiques, d’abord “naturelles” puis de synthèse, représentent, en termes économiques et biologiques (effets néfastes pour d’autres espèces, pollutions), un coût non négligeable.De plus, et c’est là un aspect essentiel du problème, les produits chimiques voient souvent leur efficacité décroître rapidement; ils déclenchent chez les ravageurs des mécanismes de résistance qui obligent à accroître les doses et/ou la fréquence des traitements... puis à inventer de nouvelles molécules.Tout cela a conduit à recourir à une stratégie écologique de défense: la lutte biologique.Des armes biologiques contre les ravageursParmi les armes biologiques mises à la disposition des agriculteurs, grâce aux progrès récents de la biologie appliquée à la protection des cultures, on peut citer:– le contrôle biologique par des prédateurs, des parasites ou des pathogènes, c’est-à-dire l’utilisation d’auxiliaires;– le lâcher inondatif d’insectes stérilisés;– l’utilisation d’hormones d’insectes;– le développement de mécanismes de résistance chez les plantes à protéger.Le contrôle biologique par l’utilisation d’auxiliairesSeul le cas des introductions d’auxiliaires sera évoqué ici, étant entendu que la première mesure à prendre consiste à respecter les espèces autochtones qui jouent naturellement un rôle d’agent de contrôle.Le bacille de Thuringe , biopesticide le plus commercialisé dans le monde, est une bactérie entomopathogène qui a été isolée à partir d’un élevage de vers à soie, en 1905, au Japon, par Ishitawa puis redécouverte par Berliner en 1911 en Allemagne (Thuringe). Son exploitation agronomique ne fut envisagée qu’à partir de 1950. Le bacille de Thuringe agit sur les insectes par l’intermédiaire de deux toxines de nature glycoprotéique qui inhibent leur respiration cellulaire, affectent leurs mécanismes de défense humorale et provoquent leur mort par septicémie généralisée. Commercialisé sous forme de poudres ou de granulés, il a permis de mettre un terme à nombre de pullulations, notamment celles du carpocapse – ver du fruit, fléau des pommiers et des poiriers – et de diverses chenilles défoliatrices en forêt.En 1966, la mouche blanche, ou aleurode des agrumes, Aleurothrixus floccosus , est signalée pour la première fois en France près de l’aéroport de Nice, accidentellement introduite par l’importation d’agrumes. En moins d’un an, ce puceron pullulait dans toute la zone agrumicole située entre Cannes et Nice. Il était devenu l’ennemi principal des plantations d’agrumes sur toute la côte méditerranéenne, atteignant des densités de plusieurs centaines d’individus par centimètre carré de feuille, grâce à un taux de multiplication phénoménal et à l’absence d’ennemis ou de maladies. Un programme de recherches fut mis en place, associant des chercheurs de l’Institut national de la recherche agronomique (I.N.R.A.) à un groupe de travail international. Il comportait trois étapes successives: l’étude de la dynamique des populations du ravageur, en France et dans son aire d’origine (Amérique centrale et Amérique du Sud); celle des parasites récoltés en différents endroits du monde où vivait ce puceron; l’analyse enfin des conditions de lâcher de l’auxiliaire choisi. Ces travaux ont permis de préciser que le ravageur présentait cinq ou six générations annuelles; que sa régulation naturelle, en Amérique, était assurée par trois espèces d’hyménoptères parasites (famille des guêpes); que l’auxiliaire le plus apte à s’acclimater dans la région méditerranéenne était le chalcidien Cales noacki .En juillet 1971, 400 femelles et 120 mâles de Cales noacki étaient déposés sur un arbre au cœur d’un verger de Saint-Laurent-du-Var, près de Nice. En deux mois, ils avaient parasité la moitié des mouches blanches de cet arbre et étaient même signalés jusqu’à une distance de 25 mètres du point de lâcher. À l’entrée de l’hiver, à l’intérieur de cette zone, 60 p. 100 étaient parasités. Dix-huit mois plus tard, le parasite constituait des populations à 80 kilomètres de là, et, en 1974, il avait atteint Toulon, à 150 kilomètres. Un an seulement après le lâcher ponctuel, 95,5 p. 100 des aleurodes des Alpes-Maritimes étaient tués par Cales noacki . En quelques années, le ravageur était régulé sur tout le littoral azuréen français.On pourrait citer de nombreux autres exemples. Depuis une centaine d’années, 3 000 introductions ont été réalisées. Plus de 1 000 espèces de parasites, de prédateurs ou d’agents pathogènes ont été utilisées afin de contrôler quelque 200 espèces de ravageurs des plantes cultivées. De toutes les introductions tentées, 35 p. 100 se montrent écologiquement stables, les deux tiers avec une incidence économique significative (cf. figure).La méthode d’introduction-acclimatation, qui constitue la base du contrôle biologique, a donc fait ses preuves, même si elle n’a pas obtenu l’audience qu’elle mérite. Elle a d’ailleurs également été utilisée avec succès dans des écosystèmes naturels pour lutter contre des envahisseurs – cactus en Australie, plantes aquatiques en Afrique et en Indonésie, etc.On peut aussi s’attaquer à la population fléau de l’intérieur: il s’agit alors de la désorganiser, soit par l’introduction massive d’individus “piégés” (mâles stérilisés), soit par l’utilisation d’hormones ou simulacres d’hormones, soit encore par brouillage de ses communications chimiques. Une sorte de guerre psychologique... à base d’arguments biologiques. Ces techniques ont le mérite de présenter une spécificité absolue et d’entraîner rapidement la réduction souhaitée des effectifs.Les lâchers inondatifs de mâles stérilesLe principe de ce type de lutte est simple: il s’agit, en libérant massivement dans la population à contrôler des mâles préalablement stérilisés, de provoquer une compétition entre mâles stériles et mâles normaux dans le processus de reproduction. Il doit en résulter une décroissance rapide des effectifs du ravageur de génération en génération. La stérilisation affecte généralement les gamètes des individus traités: porteurs de mutations provoquées soit par l’exposition à des rayons X ou gamma, soit par des procédés chimiques, ils empêchent le développement normal de l’embryon.La première application de cette technique eut lieu en 1954 dans la lutte contre la lucilie bouchère, Cochliomyia hominivorax , une mouche qui s’attaque au bétail: sa larve se développe dans la blessure d’un animal vivant, provoquant ainsi de gros dégâts dans le cuir des bovins. Les premières expérimentations furent effectuées en Floride, où les populations de cet insecte étaient parfaitement localisées. Devant le succès obtenu, l’opération fut généralisée à tout le sud des États-Unis. Il faut souligner l’ampleur de l’opération: l’usine de production de mouches stériles construite en 1961 employait 300 personnes et produisait chaque semaine 150 millions d’individus stérilisés par irradiation aux rayons gamma. La première barrière géographique de protection fut établie en 1962 par le lâcher de 6 milliards de mâles stériles. Le résultat fut spectaculaire: dans les troupeaux de bovins du Texas, le nombre de myases (désordre provoqué chez les animaux par la présence dans les tissus d’une larve de diptère) identifiées chuta en deux ans de 50 000 à 239. Entre 1962 et 1964, les dégâts provoqués par la lucilie bouchère étaient estimés à 100 millions de dollars pour l’ensemble des États-Unis, somme à comparer au coût total de l’intervention pendant la même période, soit 12 millions de dollars.On vient d’avoir une nouvelle confirmation de l’efficacité de cette méthode de lutte: la presse a fait état en 1993 de l’invasion accidentelle de la Libye par cette mouche dévoreuse, introduite avec des cargaisons de viande en provenance des États-Unis. On parlait de bataillons de larves affamées qui dévoraient sur pied les malheureux bovins, et toute l’Afrique s’inquiéta devant les menaces d’une invasion: là encore, des lâchers massifs de mâles stériles stoppèrent net la progression de l’espèce.La lutte hormonalePour leur bon fonctionnement (développement, communication, reproduction), les insectes dépendent de molécules biologiques spécifiques qu’ils élaborent: les hormones. Utiliser ces molécules, ou des produits de synthèse qui les miment, pour lutter contre des ravageurs, voilà un espoir que les progrès de la biologie moléculaire rendent désormais réalisable. Cette méthode de lutte est intéressante car ces hormones, d’une part, régulent des phénomènes biologiques clés, tels que la mue, la métamorphose ou la reproduction, et, d’autre part, agissent de manière spécifique, ce qui élimine les risques d’effets négatifs pour d’autres espèces, homme compris.Dans ce domaine, les premiers résultats ont été obtenus avec des phéromones sexuelles, messagers chimiques spécifiques qui assurent la rencontre des sexes, et donc le succès de la reproduction. Le principe de cette lutte consiste à perturber le comportement des mâles en diffusant des analogues chimiques de l’attractif sexuel spécifique du ravageur considéré: ceux-ci ne parviennent plus alors à identifier les phéromones émises par les femelles, beaucoup d’entre elles ne sont pas fécondées... et les effectifs de la population s’effondrent rapidement. Cette technique de “confusion sexuelle” a été utilisée dans la basse vallée du Rhône pour lutter contre le carpocapse de la pomme, Cydia pomonella . La diffusion journalière d’un demi-gramme de phéromone par hectare de verger à partir de 132 diffuseurs a permis de juguler la population de ravageurs et de maintenir le seuil d’attaque des fruits en dessous de 5 p. 1 000.Le génie génétiqueLa sélection de variétés résistantes aux ravageurs de cultures, notamment aux micro-organismes pathogènes, est une pratique déjà ancienne de l’agronomie moderne. Cependant, le récent succès obtenu par l’entreprise belge P.G.S. (Plant Genetic System), qui est parvenue à conférer à une variété de tabac des capacités de résistance aux insectes grâce à l’introduction artificielle dans la plante d’un gène étranger à effet insecticide, fait miroiter de séduisantes perspectives en matière de lutte contre les ravageurs.L’utilisation en lutte biologique du bacille de Thuringe, bactérie qui produit des spores renfermant une protéine insecticide, a été évoqué plus haut. Mais l’efficacité de ces insecticides naturels a évidemment ses limites, ne serait-ce que parce que la pluie les élimine des plantes sur lesquelles on les pulvérise et que leur action dans les champs est de courte durée. Des interventions répétées sont donc nécessaires. L’innovation technique apportée par P.G.S. a consisté à intégrer dans le génome de la plante hôte (ici, le tabac) le plasmide Ti d’Agrobacterium tumefasciens , porteur du gène de la toxine du bacille de Thuringe, après délétion des gènes responsables de la tumeur. Le tabac “infecté” est devenu capable de synthétiser la toxine insecticide.Le transfert de gènes par A. tumefasciens est aujourd’hui largement pratiqué dans le monde. Cependant cette méthode reste inefficace pour les espèces telles que le riz, le blé ou le maïs, qui ne sont pas des hôtes naturels d’Agrobacterium .D’autres techniques ont été mises au point qui, par bombardement de cellules végétales en culture, permettent d’y introduire du matériel génétique étranger. Ces techniques de transgénose ont déjà été appliquées à une cinquantaine d’espèces végétales. Le revers de la médaille tient à la fragilité des systèmes de défense monogéniques face à la capacité d’évolution de nombreux ravageurs et agents pathogènes. Ainsi, les plantes transgéniques, fruits du génie génétique, ne dispenseront pas de recourir au génie écologique ou agronomique, par exemple en adoptant une stratégie de rotation des cultures pour réduire au minimum les risques de pullulation d’un autre ravageur ou d’apparition d’une souche devenue résistante à la toxine utilisée.La lutte intégréeLes armes biologiques peuvent avantageusement être utilisées dans une stratégie plus large. Ainsi depuis la fin des années 1950 s’est développée la notion de protection intégrée. L’idée majeure, qui en constitue le fondement, est d’associer, sur un agrosystème donné, le maximum de procédés alternatifs, qu’ils touchent à la plante cultivée, à ses ennemis ou aux auxiliaires biologiques et à l’environnement en général. Intégrer ne veut pas dire juxtaposer: la protection intégrée est une stratégie qui doit permettre de prendre des décisions globales compte tenu d’exigences économiques, écologiques et écotoxicologiques, et non de s’engager dans un bricolage au coup par coup.Moyens écologiques, chimiques, génétiques, il n’y a pas de panacée. La protection d’une culture ou d’une forêt implique une analyse d’ensemble du système écologique en cause et touche, en définitive, à sa gestion même. Les interactions y sont nombreuses et complexes, particulièrement dans le cas des écosystèmes forestiers, sinon des cultures. Leur intégration, en vue d’une décision, nécessite le recours aux techniques de modélisation et de simulation. Cette démarche est effectivement suivie, depuis une décennie, par divers pays soucieux de perfectionner sérieusement leur système de protection phytosanitaire.La mise en œuvre de telles stratégies exige une certaine expertise et davantage de travail que le recours aux seuls pesticides. Elle se heurte aussi à de puissants intérêts. Mais l’évolution des pratiques dans le sens de la lutte intégrée, qui s’efforce de respecter simultanément les impératifs économiques, écologiques et sanitaires, apparaît aujourd’hui irréversible.
Encyclopédie Universelle. 2012.